Q.I, HISTOIRE D'UNE IMPOSTURE
QI, histoire d'une imposture, est un documentaire (0h52) consacré au quotient intellectuel et à sa mesure qui n'est qu'une estimation éphémère et restreinte par rapport aux réelles capacités d'intelligence de chacun(e) d'entre-nous.
Le quotient intellectuel ou QI, est le résultat d'un test psychométrique qui, lorsqu'il est corrélé avec les autres éléments d'un examen psychologique, entend fournir une indication quantitative standardisée liée à l'intelligence abstraite. Le résultat du test fournit un simple indice sur la vivacité intellectuelle de l'enfant ou de l'adulte, que les parents ou éducateurs sont libres d'utiliser ou non.
Des psychologues ne fondant leurs consultations que sur la mesure du QI seraient en revanche désinvoltes, ce facteur ne constituant qu'un élément de la personnalité.
Que mesure réellement le QI ? Qui l’a inventé ? Ces deux lettres surfent sur les angoisses des gens et dissimulent des idéologies aux relents inquiétants. Comment cet outil de diagnostic a-t-il été instrumentalisé pour étayer des théories eugénistes, raciales et déterministes ?
Sur la Toile, les sites proposant de calculer son quotient intellectuel sont légion. Mais ces tests en ligne, souvent réduits à quelques questions, sont-ils fiables ? Que sait-on concrètement sur le QI ? Pourquoi et comment a-t-il été détourné de son objet initial ? Pour mieux comprendre ce qui se cache derrière ces deux lettres toutes puissantes, Stéphane Bentura a mené l’enquête en France, en Angleterre et aux États-Unis.
Inventé en 1905 par Alfred Binet, un psychologue français, le premier test d’évaluation avait pour but de repérer les élèves scolairement en retard. En élaborant un questionnaire permettant d’évaluer ce que les enfants étaient censés répondre à chaque âge, le scientifique a développé l’idée d’un âge mental, construit sur une comparaison entre les réponses d’un individu et celles des autres membres du groupe. Mais outre-Atlantique, le Dr Henry Goddard, traducteur du test de Binet, va lui trouver une autre application.
Dès 1912, les migrants d’Europe centrale et orientale vont devoir se soumettre à ce test psychométrique lors de leur arrivée à Ellis Island, à New York. Persuadés qu’une dégénérescence raciale menace le pays, les eugénistes trouvent ainsi dans les tests de QI leur meilleure arme et arrivent même à convaincre le président Calvin Coolidge de signer, en 1924, une nouvelle loi d’immigration plus restrictive.
Georges Cognet, psychologue et auteur du test de Binet version 2009, revient sur cette période sombre : "Les migrants qui étaient là depuis deux ou trois ans avaient de meilleurs résultats que ceux arrivés de fraîche date. C’était en contradiction avec les thèses innéistes de l’intelligence. Ils ont alors expliqué dans des textes que les immigrants qui avaient un gène de l’intelligence plus fort avaient compris plus tôt que les autres l’intérêt d’immigrer aux États-Unis".
Bien loin de disparaître, cette idée d’une intelligence innée, génétique et déterminée, refait surface en 1945 sur le sol britannique. Le psychologue le plus réputé du pays, sir Cyril Burt, impose le test de QI à tous les enfants de 11 ans pour leur entrée en sixième, le résultat ouvrant ou fermant les portes des études supérieures aux petits anglais pendant plus de trente-cinq ans. Pour Oliver Gillie, ex-correspondant scientifique du Sunday Times, "Burt croyait que les plus intelligents avaient les meilleurs boulots et les meilleures places dans la société, et ses travaux avaient finalement pour but de prouver tout cela. C’était très important pour lui de justifier le système de classe sociale en Angleterre, qui a toujours été très cloisonné. En fait, Burt apportait la justification scientifique de l’ordre social".
Cependant, le credo du QI déterministe ne s’arrête pas là. Dans les années 1970, un groupe de scientifiques américains affirment que les Afro-américains ont un QI moyen inférieur à celui des blancs. "Mes recherches m’ont amené à conclure de manière catégorique que la raison principale de l’infériorité sociale et intellectuelle de la population noire est due à l’hérédité et que cette infériorité est génétique et raciale. C’est irrémédiable, quoi que vous fassiez", assure le Dr William Shockley, prix Nobel de physique en 1956.
Cette croyance dans l’intelligence génétique resurgit régulièrement aux Etats-Unis. En 1994, Richard Herstein, psychologue de Harvard, et Charles Murray, politologue, croisent les scores de QI de 10 000 américains avec leurs origines ethniques, sociales, leurs diplômes et leurs revenus et publient The Bell Curve, une étude très controversée. "Dans cet ouvrage, on prétend que la société est figée et que les groupes sociaux ne bougent pas, ce qui est complètement faux", objecte Georges Cognet.
Psychologue de l’Education Nationale, Robert Voyazopoulos, qui reçoit régulièrement des enfants en consultation, dit que le QI n'est pas l'information essentielle, souligne que c'est une information transitoire, éphémère, et rappelle qu’il y a des enfants qui ont une intelligence originale, qui sont inventifs, créatifs, qui ont une pensée divergente. Ces enfants là ont des formes d’intelligence que le QI classique n’exprime pas.
La construction des tests de QI est totalement empirique, aucune théorie complète ne la sous-tend, et c'est pourquoi le résultat est considéré comme simplement indicatif de difficultés cognitives éventuelles de l'enfant ou de la mesure d'un potentiel intellectuel, le résultat d'un test de QI n'est donc pas à prendre au pied de la lettre, mais à interpréter.
(Amandine Deroubaix)
- Voir aussi :
LA MACHINE HUMAINE : Le corps incroyable